Marion Chambinaud & Marjolaine Turpin

mauvais temps

du 16 février
au 02 juin 2024

L’exposition mauvais temps, de Marion Chambinaud et Marjolaine Turpin, nous invite à un cheminement au sein de la matière. Rien de spectaculaire, pourtant. Tout se situe à une échelle indicielle : suivre des traces, effleurer le dépôt de la fumée, observer des couleurs qui se révèlent ou des irisations sur un mur. La posture demandée est celle de l’attention au discret, à l’impalpable, au peu visible. C’est dans les interstices entre deux surfaces, dans la porosité des matières, dans les transferts de particules que se joue la puissance des métamorphoses.

Dès l’entrée, nous sommes avertis de ce qui a lieu. Les bannières d’intissé qui se déploient dans la salle se parent, au fil des jours, d’étranges armoiries, nuances diffuses de bleu, jaune ou vert. Sous l’effet de l’eau conduite par le pan de tissu, le cuivre contenu dans les cylindres de porcelaine s’oxyde. Et l’oxydation infuse dans l’étoffe. Quand l’eau s’évapore, restent les couleurs : c’est le vert de gris. Si le phénomène fait songer aux statues dans les parcs, couvertes d’une patine mélancolique, c’est le pouvoir générateur de la réaction chimique que les deux artistes convoquent ici et laissent librement agir, le temps de l’exposition. Échanges, capillarité, cristallisation : les termes sont posés.

Du geste de l’artiste ancré dans la matière, à l’immatériel : tels se présentent les virevoltants, de Marion Chambinaud. Les pièces de porcelaine aux minces parois sont elles-mêmes les empreintes d’un moule, objet massif dont elles deviennent le fantôme (fantôme d’un fantôme, donc), et aussi la mémoire, puisqu’elles portent sur elles les stigmates de l’objet originel. Sur la surface plane, la peau de la porcelaine papier est noircie par la fumée. Un pas de plus a ainsi été accompli dans la dématérialisation : le geste s’est dépris de l’œuvre, puisque l’enfumage, dépôt virevoltant de particules infimes, se produit sans le contact de la main.

Nous sommes dans un espace de métamorphoses. La transformation de la matière est en cours ou bien déjà produite, mais ses effets persistent. Afin de rendre tangible la réalité de ce à quoi nous assistons et nous permettre d’en prendre la mesure, les artistes ont conçu il y a là. L’installation consiste en un poudroiement de noir de fumée déposé le long des murs. S’arrêtant à la hauteur des fenêtres, le résidu carboné évoque les parois intérieures d’un four léché par les flammes. Par un effet de métaphore (terme pris ici dans son sens premier de « déplacement, transport »), nous sommes placés au cœur même du processus.

Avant de passer dans la salle suivante, effleurons du doigt ajour de Marjolaine Turpin, carré blanc que son aspect lisse fait contraster avec les œuvres précédentes. Réalisé à l’enduit, il hypnotise tel un écran de projection vide. L’œuvre joue avec nos capacités d’attention : ténu, un léger relief vient plisser la matière crayeuse. Laissons-nous entraîner par elle : le carré blanc se poursuit de l’autre côté de la cloison.

Entreprise en 2022 au sein des Ateliers du Faire de la Fondation d’entreprise Martell (Cognac), avec les verriers Jean-Charles Miot et Laetitia Andrighetto, la pièce mauvais temps est le point d’ancrage de l’exposition, celle qui en induit les autres développements. Il s’agit d’une installation de gazettes, petites chambres traditionnellement utilisées dans la cuisson de la porcelaine et que l’on place à l’intérieur du four, afin de protéger les pièces des dépôts de fumée ou de cendre. Telles une mise en abyme de l’architecture d’un four, les gazettes sont le lieu de transferts et de révélations. Contenant des éléments organiques à chaque fois différents, elles ont été soumises au feu : la matière calcinée laisse des traces sur les parois, images dessinées par la transformation. La combustion réveille aussi les oxydes contenus dans le verre : des couleurs font surface. Par un jeu d’éclairage placé dans les gazettes de porcelaine, des auréoles lumineuses s’élargissent sur les murs, tableaux impalpables où se révèlent ces discrètes alchimies.

Telle une résurgence, il y a là réapparaît dans la troisième salle. Le titre prend alors tout son sens. Sur l’un des murs, à hauteur de main, à l’endroit où la concentration de noir de fumée est la plus dense, est disposée une feuille de verre, pliée de façon à se faire réceptacle. On pourrait la prendre pour un bénitier — même si, dans ce cas, c’est le feu, plutôt que l’eau, qui est convoqué. Elle rappelle les creusets où se produisent les fusions. De taille modeste, c’est pourtant d’elle que semble surgir tout le déroulement du parcours, source secrète qui se manifesterait au moment ultime. Thermoformée, elle doit sa silhouette à sa chute dans un moule. Pourtant, il suffirait de la retourner pour la percevoir comme une bâche protectrice. Mais ce qu’elle recueille, ce qui se produit en son sein, nous est invisible. Processus en attente, réactions chimiques encore en puissance : l’exposition ouvre vers de futures métamorphoses.

Anne Malherbe

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mauvais temps & Forces contraires

A partir du 15 mai, des pièces réalisées en co-création avec des élèves d’écoles élémentaires de l’Académie de Clermont-Ferrand dans le cadre d’un projet PACTE de l’Éducation Nationale intégreront l’exposition, pour la quatrième édition de La petite fabrique, mise en valeur des projets d’éducation artistique et culturelle au Creux de l’Enfer.

Lien vers les sites des artistes :

https://www.marionchambinaud.com/

http://www.marjolaineturpin.fr/

Certaines pièces de l’exposition mauvais temps ont été produites au cours d’une résidence aux Ateliers du Faire avec Laetitia Andrighetto et Jean-Charles Miot au sein de la Fondation d’entreprise Martell, Cognac. Les artistes souhaitent remercier Eugénie Faurie et Léna Morvant pour leur aide au cours du montage de leur exposition.
A partir du 15 mai, des pièces réalisées en co-création avec des élèves d’écoles élémentaires de l’Académie de Clermont-Ferrand seront intégrées à l’exposition, dans le cadre d’un projet PACTE de l’Éducation Nationale.