Le génie du lieu

du 27 octobre 2018
au 17 février 2019

Ce fut d’abord un rocher marquant au pied d’un torrent, puis un refuge derrière une chute d’eau, une cavité, un creux. Espace de mémoire et de fabrique, où cohabitent le murmure des légendes anciennes et le bruit des marteaux-pilons, le Creux de l’enfer est aujourd’hui un lieu des métamorphoses où l’artiste est un passeur de gestes et de pensées. Un lieu du faire qui donne à voir. Par génie du lieu on entend célébrer l’esprit protecteur d’un site, Genius Loci, qui depuis l’Antiquité, a souvent pour but de qualifier l’atmosphère si particulière d’un espace. N’entend-on pas mettre ainsi en lumière son caractère unique, essentiel, et ce qui le ferait exister comme tel aux yeux du monde? 

Ayant fait l’objet de multiples sujets d’études dans le champ des sciences sociales et dans l’art, la notion de lieu met tour à tour en question la fonction du site, sa mémoire, ses usages et le rôle qu’ils jouent dans l’élaboration de notre rapport au monde. Interroger l’apparition du génie au sein du centre d’art du Creux de l'enfer, c'est évoquer un monde enfoui qui recèle dans l’enveloppe de son bâtiment tous les signes et les stigmates des appropriations dont il a été l’objet. C’est aussi et surtout un moyen de révéler les pratiques de l’espace, les mille façons de vivre, d’échanger collectivement et de jouir des possibilités d’habiter un lieu.

A la place de l’ancienne banque d’accueil, Hélène Bertin conçoit un ensemble de mobiliers destiné à stimuler cet art subtil de la parole. Dès le seuil de la porte, une large table traversée de bâtons de bois surmontée d’une toile filtrante imprimée de végétaux prend l’aspect d’un kiosque de la convivialité. C’est dans cet environnement qu’on est invité à poser son manteau, à s’asseoir, à lire un choix de publications ou à déguster des infusions bienfaisantes dans les contenants modelés par l’artiste. 

Poursuivant leur série Black bivouac, le duo d’artistes Grout/Mazéas réalise dans la région, le 7e opus d’un projet consacré à des scènes de feux de camp. Réanimant d’une certaine façon les flammes vacillantes de la fournaise des forges, autrefois présentes dans le bâtiment, ils construisent une scène familière de tous, autant chaleureuse, contemplative que décalée. 

Prenant comme point d’appui la structure formelle du bâtiment, Jennifer Caubet et Flora Moscovici s’emparent chacune d’un espace dont elles révèlent la spécificité. 

Jennifer Caubet positionne ainsi une centaine de pièces en verre qu’elle greffe sur des lances en métal tendues entre le sol et le plafond du rez-de-chaussée. 

Saisie par l’intensité du paysage environnant dont elle cherche à traduire les variations végétales et minérales, Flora Moscovici réalise une composition picturale totale qu’elle déploie sur l’ensemble des cimaises de l’étage. 

Si Elsa Werth s’intéresse au sol fissuré de la dalle de béton, il s’agit plutôt d’un geste tendant à s’abstraire de ces irrégularités visuelles en composant ainsi à la craie le dessin de trois tapis formant la grille d’une trame géométrique cryptée.

Réinvesti nouvellement en espace d’exposition, la grotte du Creux de l’enfer est un endroit où la nature proliférante dialogue avec la roche humide et sombre. Un lieu où l’espace intérieur devient espace extérieur. Frappée par cette singularité mystérieuse, Anne Laure Sacriste interroge le “dehors” et le “dedans” et propose d’expérimenter le franchissement du seuil.

Qu’ils le fassent en dessinant des objets fonctionnels ou symboliques, qu’ils s’emparent à pleine main de la nature concrète ou onirique de l’endroit, qu’ils proposent des dégustations, des déambulations ou des expériences contemplatives, les artistes et au-delà les publics ne peuvent faire l’économie du lieu. Célébrant tour à tour par un geste d’appropriation la puissance d’évocation du site.

 

 Sophie Auger-Grappin

L’œuvre de Jennifer Caubet a été réalisée en coproduction entre le Cirva et le Creux de l’enfer, dans le cadre d’une résidence de recherche au Cirva en 2018.

L’œuvre de Flora Moscovici a reçu le soutien du Géant des Beaux-Arts de Lyon.

L’œuvre d’Anne Laure Sacriste a reçu le soutien de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques L’œuvre de Grout/Mazéas a été réalisée grâce au concours de Camille Agard, Davide Colombo, Nicolas Darche, Anne-Lise Foy, Thomas Lobo, Pauline Loreck pour l’association Caciaura Chantiers, Laios Noël, Astrid Pavie, Jean-Louis Périchon pour la Mairie de Montaigu-le-Blin, Guillaume Prudhomme et du conservatoire de Thiers.