En marge des fabriques

au musée d'Art et d'Industrie de Saint-Etienne

du 06 avril
au 31 juillet 2022

Organisée en deux lieux, au Creux de l'Enfer à Thiers et au musée d'Art et d'Industrie de Saint-Etienne, l’exposition En marge des fabriques tisse des liens singuliers entre des objets industriels ou artisanaux et un choix d’œuvres contemporaines, selon une approche dépassant la lecture fonctionnelle et utilitaire habituellement attribuée aux collections du musée. Pour la plupart témoins de l’essor de la période industrielle, les objets conservés au musée incarnent l’avènement du geste moderne libéré de la production artisanale et localisée. Ainsi, les collections de rubans, d’armes et de bicyclettes dessinent des univers antagonistes et révèlent une certaine identité de la femme et de l’homme modernes en mutation. Les œuvres sélectionnées par Sophie Auger-Grappin, directrice du Creux de l’enfer, s’articulent à des groupes d’objets choisis pour leurs spécificités, leurs fonctions ou leurs symboliques. Ils ouvrent alors de nouvelles voies d’interprétations, racontent des histoires parallèles aux objets et tissent des liens inattendus avec d’autres champs de pratiques. Autant de perspectives d’exploration et d’expérimentations qu’ils initient avec sagacité sur le parcours des collections à Saint-Etienne et au Creux de l’enfer à Thiers. Prenant comme point de réflexion l’édition 2022 de la Biennale Internationale de Design de Saint-Etienne intitulée « Bifurcations », cette exposition propose une nouvelle expérience du musée à partir des champs de recherches explorés par les artistes.

En marge des fabriques

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à Thiers et à Saint-Etienne

Au musée d’Art et d’Industrie, des œuvres contemporaines de collections publiques et privées sont installées dans les collections d’armes et de bicyclettes. Par ailleurs, une production spéciale est confiée à l’artiste Delphine Ciavaldini : se déployant dans l’escalier central du musée, l’artiste issue des métiers de la scène et du costume, dessine l’installation Icibas composée de kilomètres de rubans submergeant les visiteurs d’un jaillissement expressif et lyrique. Partant de la ligne du galon qu’elle suspend, tend et plisse, créant courbes et volutes, Delphine Ciavaldini fait émerger un volume généreux et immersif révélant les potentialités graphiques du ruban.

Dans la salle dédiée aux armes primitives, mue par un profond intérêt pour l’énergie contenue dans les matières, Charlotte Charbonnel présente Nucleus, une série de trois flèches en acier damassé suspendues en colonnes à proximité d’une armure à cannelures. Les flèches sont en métal damas, issu d’une technique artisanale complexe aux fines nervures entremêlées issues de la fusion des métaux. Elles proviennent de chatilles collectées dans les fantômes de lames de couteaux découpées : upcyclage de matériaux rares issus d’une coutellerie thiernoise. L’œuvre s’apparente à une flèche ou une arme ancestrale dialoguant avec la ferronnerie d’un autre âge.

Par la suite, l’œuvre vidéo Notre-Dame de France de l’artiste Alexis Guillier s’attache non sans ironie à la statue monumentale de Vierge à l’enfant surplombant la ville du Puy-en-Velay. Née en 1860 du fer de canons pris à Sébastopol, cette statue a suscité l’intérêt de l’artiste par son histoire complexe, qui en fait une figure fascinante. Narratrice de son histoire complexe, la statue s’incarne et fait entendre sa voix au sein d’un film en deux parties, qui révèle par le biais de références, de citations et de documents d’archives les tensions entre les fantasmes qu’elle a suscités et son propre ressenti.

Face au fusil dit « Louis XVI », trois explosions de feux d’artifices pétrifiées dans du gel de pétrole sont proposées par l’artiste Vivien Roubaud. Artiste inventeur d’installations mécaniques reconfigurées selon des fonctions inadaptées à l’usage, Vivien Roubaud extrait les propriétés cachées des objets du quotidien et créée des machines chargées d’une poétique du précaire et de l’instable. Lors de multiples expériences il a notamment tenté de contenir l’explosion de feux d’artifices dans des blocs de verre armés. Le produit absorbe et fixe l’instant ultime de l’explosion et la conserve sur elle-même dans toute sa géométrie. C’est un moment suspendu dans le gel, un souffle coincé dans son élan, modelant la propagation forcée mais contenue d’un instant, mis en regard des armes silencieuses et inactives aux potentialités pourtant palpables.

Au sein des collections d’armes contemporaines, un ensemble d’œuvres sphériques de l’artiste Vladimir Skoda sont positionnées en regard des armes pointant leurs canons en leur direction. Travaillant principalement le métal, l’artiste façonne des sphères en métal poli, mais aussi des formes réfléchissantes convexes et concaves, prenant comme point d’entrée le mouvement du regardeur et de son environnement comme élément de métamorphose du monde. L’œuvre Deux Points situe un miroir convexe devant lequel oscille une sphère noire pendulaire créant une cible optique déformante dans l’axe des canons des armes. Effet hypnotique du pendule qui concentre les regards sur une tache noire en mouvement, tandis que Réflexion Binaire se compose de deux sphères miroir posées au sol sur le point de se toucher. Le vide laissé entre les deux masses matérialise un magnétisme ou un changement d’atmosphère traduit par un dépolissage de la surface des miroirs.

Précédant la salle des cycles, Alexandre Astier isole certains éléments mécaniques d’un vélo qu’il décompose et fragmente, procédant à une épure technique, graphique et fonctionnelle. Ainsi la chaine de vélo s’incarne en liane s’enroulant et dessinant d’étranges boucles autoportées dans l’espace. La roue de vélo rendue à sa forme circulaire essentielle accueille une nouvelle organisation des rayons improvisant des chemins parallèles, en spirales ou en boucles... De ses expérimentations, Alexandre Astier fait émerger des analogies formelles avec le végétal, l’animal et les astres.

Au milieu des cycles, l’artiste Le Gentil Garçon présente Chronique du monde d’avant, un dispositif composé d’un vélo supportant un petit théâtre de bois inspiré par celui véhiculé par les conteurs de Kamishibai (étymologiquement : « théâtre de papier »). Traditionnellement, il permet de transporter et de montrer dans la rue, les images peintes qui illustrent des histoires destinées à un public d’enfants. Un dispositif modeste permet de diffuser dans l’espace d’exposition - ou dans la rue - le film Chronique du monde d’avant (2013) qui s’inspire de cette tradition populaire japonaise. Le film réinterprète la pratique traditionnelle du kamishibai. Il est basé sur un conte imaginé durant une résidence de l’artiste à la villa Kujoyama de Kyoto et interprété par un des derniers conteurs traditionnels de cet art, Tadashi Sugiura alors âgé de 81 ans et vivant à Osaka. Les visiteurs sont invités à prendre place autour du vélo animé pour visionner le film, assis sur des coussins.

L’exposition En marge des fabriques est organisée en collaboration avec le musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne et la ville de Saint-Etienne dans le cadre de la Biennale Design 2022.

 

Commissariat : Sophie Auger-Grappin