Histoire

Un site remarquable dans la vallée des usines de Thiers

Un site entouré de légendes

Le site du Creux de l’enfer se caractérise par son paysage montagneux escarpé au cœur d’une vallée encaissée où coule la déferlante rivière de la Durolle.

Le lieu a toujours été associé à plusieurs légendes et semble être depuis toujours réputé pour sa cascade que l’on croyait autrefois habitée par des fées. Mais c’est à l’arrivée du christianisme que les croyances semblent s’être cristallisées autour de l'image du diable et des enfers. Il est alors baptisé « le creux de l’enfer ».

Le récit du martyr de Saint Genès vint renforcer cette idée : au 3ème siècle, un adolescent venu de Mycènes pour rejoindre un évangélisateur caché dans les gorges de la Durolle aurait été décapité sur le rocher dit « de l’enfer » par un soldat romain, refusant de dévoiler le lieu de retraite de son maître. C’est sur ce même rocher que sera construite l’usine que l’on connaît aujourd’hui.

Un site industriel remarquable 

La ville de Thiers est profondément marquée par une intense activité industrielle dont l’origine semble remonter au Moyen-Âge, particulièrement visible dans les gorges de la Durolle, où se succèdent environ 140 écluses et une quarantaine d’usines et d’ateliers.

Si la ville de Thiers est aujourd’hui essentiellement connue pour ses couteaux, la Durolle a d’abord profité aux tanneries et papeteries dont l’accès à l’eau était indispensable. C’est la disparition totale de cette industrie au 19ème siècle qui a permis le développement considérable de la coutellerie. Profitant à leur tour de la force hydraulique, les couteliers sont venus s’installer près de la Durolle et ont pu moderniser et mécaniser certains processus de fabrication. L’arrivée de l’électricité à la fin du 19ème siècle, permettant aux usines de ne plus dépendre de l’eau, a engendré un déplacement des usines dans les plaines.

Construites dans les gorges sombres et encaissées de la Durolle, les usines abandonnées et laissées en l’état ont pris au fil des années des allures de ruines romantiques avec pour paysage sonore le fracas omniprésent de la rivière.

Deux d'entre elles sont remarquables dans la vallée : l’usine du Creux de l’enfer et l’usine du May. Nichées l’une à côté de l'autre, elles symbolisent aujourd’hui la renaissance des anciennes usines de Thiers.

 Un centre d'art contemporain

La renaissance du site

En 1985, un Symposium national de sculpture monumentale métallique est organisé par la ville de Thiers. Il permet à six artistes français et internationaux de collaborer avec des artisans locaux autour de la réalisation de leurs œuvres. Des sculptures sont ainsi implantées avec justesse dans le contexte historique de la ville de Thiers.

Parmi eux, George Trakas, sculpteur d’origine canadienne invité pour le Symposium, anticipe l'histoire du centre d'art. Il conçoit une passerelle métallique le long des bâtiments pour rendre accessible le fil de l’eau aux promeneurs. La déambulation est complétée par la création du Pont de l'épée (appelé aussi Pont miroir) permettant une approche au plus près de la chute d’eau. Dans son geste, George Trakas relie l'histoire légendaire et sociale du site à l'art de son époque.

La création du centre d’art

Le symposium de sculpture métallique permet la mise en relief sous un jour nouveau de la spécificité de la ville et l'acquisition du site de l’usine du Creux de l’enfer en 1986 confère un lieu pérenne à l’expression de l’art vivant. Ce bâtiment brut en béton, construit à même la roche et doté de nombreuses baies vitrées, s’oppose en tous points aux formats classiques des espaces d’exposition définis par le white cube. La ville charge les architectes Xavier Fabre et Vincent Speller de restaurer et restructurer le bâtiment tout en respectant les traces de son activité industrielle.

Dans un premier temps, le centre d’art est géré par l’association Thiers Art Métal. Sous l’impulsion de la ville, le projet s’ancre dans la continuité du symposium, en proposant de soutenir la création artistique autour du métal.

Un centre d’art contemporain d’intérêt national

Dans le prolongement des expériences menées lors du symposium, le projet artistique de Laurence Gateau, première directrice du centre d’art de 1989 à 1999, se fonde tout d’abord sur la collaboration des artistes avec les artisans et industriels locaux qu’elle élargira rapidement aux problématiques de l’art actuel, dont les formes sont plus diverses. Au travers d’une programmation exigeante, elle va ainsi asseoir solidement la renommée de l’institution.

À partir de 2000, Frédéric Bouglé poursuivra ce projet en accordant une place à des invitations d’artistes confirmés avec un intérêt tout particulier pour la peinture contemporaine. Il met en place la collection éditoriale Mes pas à faire au Creux de l'enfer ainsi que le cylce annuel d'exposition Les enfants du Sabbat.

C’est sur ces quelques jalons historiques que se fondent les bases du nouveau projet artistique et culturel de Sophie Auger-Grappin pour le Creux de l’enfer, centre d’art atypique où cohabitent histoire, patrimoine, savoir-faire local et création contemporaine. Loin de les mettre dos à dos, elle souhaite les faire dialoguer afin que se poursuive cette écriture féconde qui associe les artistes et le public à l’histoire de ce site remarquable.

Depuis son arrivée en 2018, l’un des axes essentiels à son projet est de créer une activité de création permanente sur le territoire de Thiers.

En 2019, le Creux de l’enfer est labellisé « centre d’art contemporain d’intérêt national ».

En 2021, la Ville met à disposition de l'association l’usine voisine - l’usine du May - afin de répondre à ses nouveaux projets de développement.

Histoire de l'usine
du Creux de l'enfer

L'Usine du Creux de l'enfer est un véritable palimpseste architectural. Les premières traces d'industries remontent à 1476, avec l'installation d'un premier rouet à émoudre. Elle est marquée par de nombreuses reconstructions, témoignant d'une histoire industrielle, sociale et architecturale en évolution sur plusieurs siècles. Certaines strates de ces époques passées restent aujourd'hui visibles au sein du centre d'art.

En 1836, une usine de martinets s'installe à la place de l'ancien rouet à émoudre : le bâtiment s'agrandit par une construction sur deux niveaux avec quatre roues à aubes.

Vers 1860-1880, l’usine est agrandie sur deux niveaux au-dessus de la Durolle : un pont, construit pour enjamber le bief naturel, permet un accès à la route.

A la fin du 19ème siècle, le bâtiment est agrandi : occupé par l'entreprise Delaire, il bénéficie alors de deux niveaux supplémentaires pour l'aiguiserie et le façonnage de manches.

Au tout début du 20ème siècle, l'usine subit un premier incendie, avant d'être rachetée par l'entreprise Garret pour la forge et la découpe de lames de couteaux. C'est à cette époque qu'apparaissent de larges baies sur sa façade.

En 1934, un second incendie détruit l’usine qui est reconstruite à nouveau. C'est à cette époque que l'enseigne « Usine du Creux de l’enfer » et son diable sont peints sur la façade. Seule une partie de l'enseigne reste visible aujourd'hui.

Pendant la seconde guerre mondiale, l'usine est utilisée pour entreposer des équipements américains puis réquisitionnée lors de l'occupation allemande en 1942.

En 1956, l’usine est abandonnée, à l'image de nombreuses manufactures de la vallée ayant désormais davantage besoin de l'électricité que de la force motrice de la Durolle.

L'usine du Creux de l'enfer est réhabilitée en 1988 par les architectes Xavier Fabre et Vincent Speller sous l'impulsion de la Ville de Thiers pour devenir un centre d'art contemporain. 

Histoire de
l'usine du May

L’usine du May tient son nom d’un maillet - outil de forge qui permettait d’émoudre les lames - présent sur les lieux à la fin du Moyen-Âge. Les innovations techniques et architecturales dont l’usine du May a bénéficié lors de sa construction lui confèrent une place à part au sein des usines de Thiers.

Après un premier bâtiment détruit par les flammes, le bâtiment actuel a été édifié en 1895 par la Maison parisienne Grange Jeune-Lepage, fabricants de couteaux primés aux expositions universelles.

En 1917, l’entreprise Saint-Joanis prend possession des lieux pour produire des rasoirs, en témoigne la façade qui porte toujours l’inscription « Manufacture de rasoirs St Joanis ».

À partir de 1920, l’usine est cloisonnée en petits ateliers loués aux artisans et aux petites entreprises avant de cesser toute activité en 1980.

L’Usine du May est rachetée en 1984 par la ville de Thiers pour être inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Elle devient en 2009 Maison de l’Aventure Industrielle, jusqu’en 2015.

En 2021, l’usine est confiée par la ville de Thiers au centre d’art contemporain du Creux de l’enfer afin d’y étendre son programme d’expositions en lien avec le territoire, mais aussi d’y installer un atelier mis à disposition des artistes invités et un centre de documentation et d’archive.